Le Perpignan-Rungis, ou la spirale infernale du fret ferroviaire français

Chargement d’un train à la plate-forme Saint-Charles international de Perpignan, le 14 mai. RAYMOND ROIG / AFP

Le gouvernement a suspendu les circulations du « train des primeurs » en grave situation déficitaire, avec le projet de le relancer en novembre.

C’est l’histoire d’un train. Supprimé. Puis rétabli. Puis roulant à vide. Et finalement suspendu avec la promesse de revenir dans quatre mois.

Cet étonnant imbroglio, c’est celui du train dit des primeurs, le transport par voie ferrée de fruits et de légumes depuis Perpignan vers Rungis, en région parisienne. Ce convoi quotidien, qui existe depuis des décennies, capable d’emporter autant de marchandise que cinquante camions, était menacé ces jours derniers de disparition, devenant le symbole de la déconfiture du fret ferroviaire en France.

Mercredi 17 juillet, une réunion s’est tenue à Perpignan, rassemblant l’Etat, la SNCF, les collectivités locales et les entreprises transporteuses. Il y a été décidé de mettre entre parenthèses les circulations ferroviaires du train des primeurs ; l’idée étant de le refaire rouler en novembre, d’abord de façon transitoire avec les vieux wagons actuels, ensuite dans le cadre d’une solution technique pérenne et économiquement viable qui pourrait être mise en place en 2020. Une nouvelle réunion fixant les modalités précises de ce redémarrage en deux temps a été programmée pour le 11 septembre à Paris.

« Train fantôme »

Il était temps. Depuis lundi 15 juillet, le train des primeurs était entré dans le royaume de l’absurde : il partait et revenait à vide, pendant que, sur le quai en face, on chargeait des camions qui allaient livrer les marchandises que le rail avait jusqu’ici transportées. Une manière de « train fantôme » qui allait finir par se transformer en problème politique pour la toute nouvelle ministre de la transition écologique et solidaire, Elisabeth Borne.

Comment en est-on arrivé là ? « Il y a à peine trois ans, deux trains faisaient encore la liaison Perpignan-Rungis, explique un bon connaisseur du dossier. Le modèle économique était simple : les chargeurs de fruits et légumes remplissaient le train dans le sens Sud-Nord, pour le retour, la SNCF se chargeait de trouver des marchandises allant vers la frontière espagnole. Le problème, c’est que la SNCF ne s’est jamais démenée pour remplir sa partie du train. Alors, l’entreprise, pour rentrer dans ses frais, a augmenté les prix, et si vous ajoutez à cela les grèves et le fait que les wagons avaient atteint leur limite d’âge, vous arrivez à la situation actuelle. »

La situation actuelle, c’est-à-dire celle du printemps 2019, est intenable. Il n’y a plus qu’un seul train qui repart systématiquement vide vers le Sud. La plupart des clients ont déserté et surtout il faut remplacer les wagons à bout de souffle, vieux de 40 ans : coût de 25 à 30 millions d’euros que personne n’est prêt à assumer.

« Logique libérale »

La SNCF décide donc de jeter l’éponge en juin. Mais c’est sans compter avec la mobilisation en faveur du Perpignan-Rungis, menée par la CGT-Cheminots, soutenue par la gauche et les écologistes et portée par une préoccupation environnementale en train de monter dans l’opinion.

« Nous avons découvert avec surprise le sujet à ce moment-là », raconte-t-on au ministère des transports. Pas question d’entériner la disparition du dernier train de primeurs français : Elisabeth Borne décide qu’il continuera à rouler en juillet. Mais, entre-temps, les chargeurs encore présents – les sociétés Primever, Rocca et Frey – ont déjà organisé leur transfert vers les camions après le 12 juillet, d’où les circulations à vide de ces jours derniers et, finalement, la décision de suspension prise le 17 juillet.

C’est la fin du Perpignan-Rungis. Le train ne reprendra jamais le 1er novembre, se désole Thomas Portes, délégué CGT et responsable national des cheminots au Parti communiste (PCF). Avant l’ouverture à la concurrence du fret ferroviaire de 2003, l’Etat aurait investi dans de nouveaux wagons. Aujourd’hui, la logique libérale le lui interdit. Ce qui arrive au train des primeurs était hélas prévisible. »

La solution du « transport combiné »

Du côté de la ministre de l’écologie c’est au contraire, la satisfaction qui prévaut. « Je salue les décisions qui ont été prises (…), dit Elisabeth Borne dans un communiqué transmis au Monde. La liaison ferroviaire entre Perpignan et Rungis a maintenant un avenir. Si je ne m’étais pas mobilisée, ce train serait arrêté depuis fin juin. »

Un optimisme qui semble partagé par Gérard Malaure, directeur général de Primever, l’un des principaux clients potentiels du train : « Je suis rassuré par la rencontre d’aujourd’hui. Nous sommes sur la bonne voie d’une solution définitive. »

Cette solution pérenne, ce pourrait être le remplacement des wagons frigorifiques – un outil obsolète selon la SNCF – par des containers réfrigérés transportables par route comme par rail, dit transport combiné, offrant une souplesse plus grande pour un investissement moins élevé.

« Il faudra quand même trouver des flux de marchandises vers Perpignan, dit un expert. C’est la clé pour l’équilibre du système. » Et puis le transport combiné est une activité délaissée par Fret SNCF. Le train des primeurs, s’il redémarre un jour, sera donc, à terme, privé.